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La compagnie, qui démarre une tournée dans toute la France en février avec son show «la Chine avant le communisme», est liée au mouvement du Falun Gong.
Question posée par Sophie, le 16 janvier 2023.
Difficile d’y échapper si vous habitez une grande ville française : aux abords des routes, ou dans les transports en commun, les affiches de promotion pour le spectacle de la compagnie Shen Yun se multiplient depuis plusieurs semaines. Elles annoncent une tournée dans toute la France de cette compagnie de «danse classique chinoise» avec des dates de février à mai 2023, à Paris, Lyon, Nantes, Tours, Aix-en-Provence et Montpellier.
Sur l’affiche, une danseuse et le titre du show : la Chine avant le communisme. «Shen Yun ramène à la vie la culture authentique chinoise sur les scènes du monde entier, apprend-on sur le site de la compagnie. Le gong résonne, le rideau se lève et une scène céleste se déploie juste sous vos yeux. Des fées émergent d’une mer de nuages tourbillonnants. Des cavaliers mongols parcourent des prairies aussi vastes que le ciel. Des histoires classiques d’amour et de tourments, d’humour et d’actes héroïques prennent vie. Vous serez émerveillés de voir à quel point la culture classique chinoise peut être éclatante, passionnante et profonde.»
Sur les affiches ou dans les nombreuses vidéos promotionnelles de la tournée, aucune mention n’est faite d’une affiliation politique ou religieuse de la compagnie basée à New York. Mais si l’on se réfère à la foire aux questions de son sitre, on apprend que «les artistes de Shen Yun pratiquent le Falun Dafa, inspirant nos spectacles». Et comme ont pu en témoigner des spectateurs, des prospectus faisant la promotion de ce mouvement – également appelé Falun Gong – sont proposés aux spectateurs.
— Shen Yun (@ShenYun) January 7, 2023More than just a performance, we’re bringing to life the enchanting beauty and profound wisdom of ancient China.
See us live on stage: https://t.co/pY02wmo5ia pic.twitter.com/1KjCpJgr7n
Cela fait maintenant plusieurs années que Shen Yun est la vitrine, dans le monde entier, de ce nouveau mouvement religieux. En 2014, nous revenions sur la façon dont le spectacle à la gloire du mouvement avançait masqué. Pour le faire, la compagnie misait déjà «sur un affichage massif», notamment «dans le métro parisien». Mais aussi sur Internet, avec une «façon d’embrigader les people» qui n’était pas sans rappeler «les méthodes de la scientologie». Encore aujourd’hui, une citation de Cate Blanchett de 2011 trone sur le site de Shen Yun.
«Des extraterrestres ont commencé à envahir l’esprit humain»
Selon la communication de Shen Yun, le Falun Dafa serait uniquement «une méthode traditionnelle qui combine un enseignement de développement personnel et des exercices de méditation». Mais le mouvement intègre également une dimension politico-religieuse. Le programme du dernier spectacle de Shen Yun permet de se faire une petite idée de la teneur du propos, conservateur et glorifiant la période impériale. Un chant d’une ténor de la compagnie avance par exemple que «le mal [qui] nous est fait vient de la pensée moderne» mais aussi que «l’athéisme et l’évolution sont des ruses de Satan».
Ces citations figurent sur le site officiel de l’organisation et ont été écrites par Li Hongzhi, fondateur et leader du Falun Gong. Dans une interview au magazine américain Time, en 1999, ce dernier développait sa vision du monde… et se posait en sauveur de l’humanité. «Depuis le début du [XXe] siècle, des extraterrestres ont commencé à envahir l’esprit humain, son idéologie et sa culture. […] Certains viennent de dimensions que les humains n’ont pas encore découvertes», affirmait très sérieusement le chef spirituel. Interrogé sur l’aspect de ces «aliens», Li Hongzhi se montre très spécifique : «[Certains] ressemblent à un humain, mais avec un nez fait d’os. D’autres ressemblent à des fantômes. Au début, ils ont cru que je voulais les aider. Maintenant, ils ont compris que je les chasse.» Une lutte d’autant plus importante qu’il assure que «la seule personne dans le monde entier qui sait tout ça» n’est autre que «lui-même».
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Son histoire est intimement liée à l’affrontement entre le Falun gong et les autorités chinoises. Dans les années 90, le mouvement spirituel créé par Li Hongzhi, basé sur la pratique d’une gymnastique traditionnelle chinoise (le qi gong), à laquelle s’ajoutent de la méditation mystique et un moralisme rigoureux, connaît un franc succès dans le pays. A tel point que le parti communiste chinois (PCC) finit par s’en inquiéter à la fin de la décennie. Pékin interdit alors le mouvement, et persécute depuis ses adeptes, comme le dénoncent régulièrement des ONG internationales. Entraînant un exil de nombreux membres (et du fondateur Li Hongzhi), notamment aux Etats-Unis, et un durcissement des préceptes du Falun Gong, qui se structure pour dénoncer le régime chinois et ses exactions.
Dérives sectaires ?
En France, le mouvement n’est pas officiellement dans le viseur de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, mais il fait l’objet de mises en garde de l’Unadfi (l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes). Celle-ci dresse une longue liste des caractéristiques du mouvement qui pourraient relever de dérives sectaires, comme l’embrigadement des membres, le refus de soins, la rupture avec l’environnement d’origine ou encore «l’omnipotence du gourou». L’association relevant au passage les théories violemment racistes et homophobes du fondateur du mouvement. Dans d’autres pays, comme en Australie, des témoignages et des enquêtes ont également pointé du doigt des dérives sectaires.
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En ligne, la promotion du spectacle est assurée par la chaîne de télévision NTDTV et le site The Epoch Times, deux branches médiatiques du Falun Gong, opérés depuis les Etats-Unis. Deux médias qui se caractérisent par leurs prises de position anti-PCC, mais aussi ultraconservatrices. Ce qui les conduit par exemple à multiplier les contenus pro-Trump, et à s’aligner sur les extrêmes droites locales dans leurs déclinaisons européennes. Deux médias qui ont aussi tenu un rôle particulièrement actif dans la propagation de fausses informations durant la pandémie de Covid. La page d’accueil de la version française de The Epoch Times, met ainsi en avant une interview de Louis Fouché, figure des antivaccins à côté d’un article sur le dernier spectacle de la compagnie Shen Yun, qualifié en titre de «victoire pour l’humanité».